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telots se montraient le voyageur étrange, le suivaient des yeux tant qu’il restait visible, et son passage était consigné sur le journal du bord.

Mais des navires, jamais ; elles sont trop grandes, ces mers australes ; on ne s’y rencontre pas.

Une fois, on avait trouvé une petite île océanienne entourée d’une blanche ceinture de corail. Des femmes qui habitaient là s’étaient approchées dans des pirogues, et le commandant les avait laissées monter à bord, devinant pourquoi elles étaient venues. Elles avaient toutes des tailles admirables, des yeux très sauvages à peine ouverts entre des cils trop lourds ; des dents très blanches, que leur rire montrait jusqu’au fond. Sur leur peau, couleur de cuivre rouge, des tatouages très compliqués ressemblaient à des réseaux de dentelles bleues.

Leur passage avait rompu pour un jour cette continence que les matelots gardaient. Et puis l’île, à peine entrevue, s’était enfuie avec sa plage blanche et ses palmes vertes, toute petite au milieu du grand désert des eaux, et on n’y avait plus pensé.

On ne s’ennuyait pas du tout à bord. Les jour-