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Quand nous courions vers l’est, c’était au plus près du vent, dans ces régions d’alizés ; alors le Primauguet se lançait contre les lames régulières et moutonnées des tropiques pendant des jours entiers, sans se lasser, avec les mêmes petits trémoussements joyeux de poisson qui s’amuse. Ensuite, quand nous revenions sur nos pas, vent arrière, tout couverts de voiles, déployant toute notre large envergure blanche, notre marche, toujours aussi rapide, devenait si facile, si glissante, que nous ne nous sentions plus filer ; nous étions comme soulevés par une espèce de vol, et notre allure était comme un planement d’oiseau.

Pour les matelots, les jours continuaient à se ressembler beaucoup.

Chaque matin, c’était d’abord un délire de propreté qui les prenait dès le branle-bas. À peine réveillés, on les voyait sauter, courir pour commencer au plus vite le grand lavage. Tout nus, avec un bonnet à pompon, ou bien habillés d’un tricot de combat (qui est une petite pièce tricotée pour le cou, à peu près comme une bavette de nouveau-né), ils se dépêchaient de tout inonder. Des jets de pompe, des seaux d’eau lancés à tour