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nus ; où le soleil qui s’obscurcit paraît semblable à une lune blême, puis verdit, tremble, s’efface. Et alors l’obscurité éternelle commence ; les eaux montent, montent, s’entassent au-dessus de la tête du voyageur mort comme une marée de déluge qui s’élèverait jusqu’aux astres.

Mais, en bas, le cadavre tombé a perdu son horreur ; la matière n’est jamais immonde d’une façon absolue. Dans l’obscurité, les bêtes invisibles des eaux profondes vont venir l’entourer ; les madrépores mystérieux vont pousser sur lui leurs branches, le manger très lentement avec les mille petites bouches de leurs fleurs vivantes.

Cette sépulture des marins n’est plus violable par aucune main humaine. Celui qui est descendu dormir si bas est plus mort qu’aucun autre mort ; jamais rien de lui ne remontera ; jamais il ne se mêlera plus à cette vieille poussière d’hommes qui, à la surface, se cherche et se recombine toujours dans un éternel effort pour revivre. Il appartient à la vie d’en dessous ; il va passer dans les plantes de pierre qui n’ont pas de couleur, dans les bêtes lentes qui sont sans forme et sans yeux…