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dépêchait, avant la nuit, de coudre un cadavre dans des morceaux de toile grise qui étaient des débris de voiles.

Yves et Barrada, debout, le surveillaient avec horreur. Ils étaient obligés de se tenir tout près de lui, dans une très petite chambre mortuaire qu’on avait faite avec d’autres voiles tendues et dont un canonnier gardait l’entrée, le sabre d’abordage au poing.

C’était Barazère qu’on cousait dans ces toiles grises. Il venait de mourir d’un mal pris jadis à Alger, — une nuit de plaisir… Plusieurs fois on l’avait cru guéri ; mais le poison incurable restait dans son sang, reparaissait toujours et à la fin l’avait vaincu. Les derniers jours, il était couvert de plaies hideuses, et ses amis ne l’approchaient plus.

C’était Le Hir qui le cousait, tous les autres ayant refusé, par peur de son mal. Lui avait accepté à cause de deux quarts de vin qu’on lui avait promis.

Le roulis le remuait, le gênait dans sa besogne, lui dérangeait son cadavre, et il s’impatientait dans l’attente de ce vin qu’il allait boire.