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… Goulven me demandait si je connaissais Plouherzel ; et alors je lui contais que j’avais dormi une nuit sous le toit de sa vieille mère.

— Et vous, dis-je, n’y reviendrez-vous jamais ?

Il souffrait encore, et très cruellement, à ce souvenir ; je le voyais bien.

— C’est trop tard à présent. Il y aurait ma punition à faire à l’État, et je suis marié en Californie, j’ai deux enfants à Sacramento.

— Voulez-vous venir avec moi voir Yves ?

— Venir avec vous ? répéta-t-il bas, d’une voix sombre, comme très étonné de ce que je lui proposais. Venir avec vous ?… mais vous savez bien… que je suis déserteur, moi ?

À ce moment, il était tellement Yves, il avait dit cela tellement comme lui, qu’il me fit mal.

Après tout, je comprenais ses craintes d’homme libre et jaloux de sa liberté ; je respectais ses terreurs de la terre française, — car c’est une terre française que le pont d’un navire de guerre ; — à bord du Primauguet, on était en droit de le reprendre, c’était la loi.

— Au moins, dis-je, avez-vous envie de le voir ?