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tait toujours, au plus juste prix, leurs dîners et leurs fêtes.

D’ailleurs, elle les reconnaissait tous. Ayant déjà de l’alcool dans sa tête grosse et rouge, elle essayait de répéter leurs noms, qu’elle les entendait se dire entre eux ; elle se souvenait bien de les avoir vus, du temps qu’ils étaient canotiers à bord de la Bretagne ; — et même elle croyait se rappeler leur enfance de mousse, sur l’Inflexible. Mais comme ils étaient devenus grands et beaux garçons depuis cette époque ! — Vraiment il fallait son œil à elle, pour les reconnaître, ainsi changés…

Et, au fond du cabaret, le dîner cuisait, sur des fourneaux qui répandaient une assez bonne odeur de soupe.

Dans la rue, on entendit un grand vacarme. Une troupe de matelots arrivait, chantant, scandant à pleine voix, sur un air très gai, ces paroles d’église : Kyrie Christe, Dominum nostrum ; Kyrie eleison

Ils entrèrent, chavirant les chaises, en même temps qu’une rafale du vent d’ouest couchait la flamme des lampes.

Kyrie Christe, Dominum nostrum… : les Bretons n’aimaient pas ce genre de chanson, venu sans