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C’était Yves, le chef de la hune de misaine ; il descendit quatre à quatre pour voir ce qu’on lui voulait. — Le commandant en second le demandait chez lui ; — et, moi, je savais bien pourquoi.

Dans ces mers si lointaines et si tranquilles où nous naviguions, les matelots se trouvaient tous un peu brouillés avec les saisons, avec les mois, avec les jours ; la notion des durées se perdait pour eux dans la monotonie du temps.

En effet, l’été, l’hiver, on n’en a plus conscience ; on ne les sait plus, car les climats sont changés. Même les choses de la nature ne viennent plus les indiquer ; c’est toujours l’eau infinie, toujours les planches, et, au printemps, rien ne verdit.

Yves avait repris sans peine son existence d’autrefois, ses habitudes de gabier, sa vie de la hune, à peine vêtu, au vent et au soleil, avec son couteau et son amarrage. Il n’avait plus compté ses jours parce qu’ils étaient tous pareils, confondus par la régularité des quarts, par l’alternance d’un soleil toujours chaud avec des nuits toujours pures. Il avait accepté ce temps d’exil sans le mesurer.

Mais c’était aujourd’hui même que ses six mois de punition expiraient, et le commandant avait à lui