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tranquille, cette sorte d’été mélancolique d’arrière-saison qui portait au recueillement. Maintenant le calme se faisait pour Yves sur l’irrévocable de sa décision.

On lui montra sa petite armoire, mais il n’avait presque rien à y mettre. Il se lava à grande eau fraîche, s’ajusta mieux, avec une certaine coquetterie, dans son costume nouveau ; ce n’était plus cette livrée de l’état qui lui avait souvent paru lourde ; il se sentait libre, affranchi de tous ses liens passés, presque autant que par la mort. Il essayait de jouir de son indépendance.

Le lendemain matin, à la marée, la Belle-Rose devait partir. Yves flairait le large, la vie de mer qui allait recommencer, à la façon nouvelle longtemps désirée. Il y avait des années que cette idée de déserter l’obsédait d’une manière, et, à présent, c’était une chose accomplie. Cela le relevait à ses propres yeux, d’avoir pris ce parti, cela le grandissait de se sentir hors la loi, il n’avait plus honte de se représenter devant sa femme, à présent qu’il était déserteur, et il se disait qu’il aurait le courage d’y aller ce soir, avant de partir, au moins pour lui porter l’argent qu’il avait reçu.