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un coup d’œil instinctif pour s’assurer qu’il était seul, il se disait, avec une espèce de rire moqueur, d’odieuses injures de matelot.

Maintenant il était debout avec un air fier et méchant.

Déserter !… Si quelque navire pouvait l’emmener tout de suite !… Cela devait se trouver sur les quais ; justement il y en avait beaucoup ce jour-là. Oh ! oui ! à n’importe quel prix, déserter, pour ne plus reparaître !

Sa décision venait d’être prise avec une volonté implacable. Il marchait vers les navires, cambré, la tête haute, l’entêtement breton dans ses yeux à demi fermés, dans ses sourcils froncés.

Il se disait : « Je ne vaux rien, je le sais, je le savais, ils auraient dû me laisser tous. J’ai essayé ce que j’ai pu, mais je suis fait ainsi et ce n’est pas ma faute. »

Et il avait raison peut-être : Ce n’était pas sa faute. À cet instant, il était irresponsable ; il cédait à des influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient de son sang : il subissait la loi d’hérédité de toute une famille, de toute une race.