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fils qu’on va embrasser tout à l’heure devant les autres.

— Voilà ceux du Magicien qui entrent dans le port, madame Kerdoncuff !

— Et voilà ceux du Catinat aussi donc ! Ils se suivent tous les deux, madame Quémeneur !

En bas, les canots accostent, tout au fond, sur les quais noirs, et ceux qui sont attendus montent les premiers.

D’abord les maris de ces dames, place aux anciens, qui passent devant ! Le goudron, le vent, le hâle, l’eau-de-vie, leur ont composé des minois chiffonnés de singes… Et on s’en va, bras dessus bras dessous, du côté de Recouvrance, dans quelque vieille rue sombre aux hautes maisons de granit ; tout à l’heure, on montera dans une chambre humide qui sent l’égout et le moisi de pauvre, où sur les meubles il y a des coquillages dans de la poussière et des bouteilles pêle-mêle avec des chinoiseries. Et, grâce à l’alcool acheté au cabaret d’en bas, on trouvera l’oubli de cette séparation cruelle avec un renouveau de ses vingt ans.

Puis viennent les autres, les jeunes hommes qu’attendent les fiancées, les femmes ou les vieilles