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Les vitres de notre voiture en vibrent, et cet air, toujours le même, répété deux lieues durant, est un très vieil air de France, si ancien et si jeune, d’une gaîté si fraîche et de si bon aloi, qu’au bout d’un moment, nous aussi, nous le chantons avec eux.

Comme elle est belle et rajeunie, la Bretagne, et verte, au soleil de juin !

Nous autres, pauvres gens de la mer, quand nous trouvons le printemps sur notre route, nous en jouissons plus que les autres, à cause de notre vie séquestrée dans les couvents de planches. Il y avait huit ans qu’Yves n’avait vu son printemps breton, et nous avions été longtemps fatigués tous deux par l’hiver ou par cet éternel été qui resplendit ailleurs sur la grande mer bleue, et nous nous laissions enivrer par ces foins verts, par ces senteurs douces, par tout ce charme de juin que les mots ne peuvent dire.

Il y a encore de beaux jours dans la vie, de belles heures de jeunesse et d’oubli. Au diable toutes les rêveries mélancoliques, tous les songes maladifs des tristes poètes ! Il fait bon courir, la poitrine au vent, en compagnie des plus joyeux d’entre les enfants du peuple. La santé et la jeunesse, c’est tout ce qu’il