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contours vagues à travers les voiles de la pluie, lui renvoyaient des souvenirs de ses années de mousse, passées là sur cette grande rade brumeuse, à regretter sa mère… Ce passé était rude, et, pour la première fois de sa vie, il songeait à ce que pourrait bien être l’avenir.

Sa mère !… C’était pourtant vrai que, depuis tantôt deux ans, il ne lui avait pas écrit. Mais les matelots font ainsi, et, malgré tout, ils les aiment bien, leurs mères ! C’est la coutume : on disparaît pendant des années, et puis, un bienheureux jour, on revient au village sans prévenir, avec des galons sur sa manche, rapportant beaucoup d’argent gagné à la peine, ramenant la joie et l’aisance au pauvre logis abandonné.

Ils filaient toujours sous la pluie glacée, sautant sur les lames grises, poursuivis par des sifflements de vent et de grands bruits d’eau.

Yves songeait à beaucoup de choses, et ses yeux fixes ne regardaient plus. L’image de sa mère avait pris tout à coup une douceur infinie ; il sentait qu’elle était là tout près, dans un petit village du pays breton, sous ce même crépuscule d’hiver qui l’enveloppait, lui ; encore deux ou trois