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— Trop salée !… trop salée !…

Puis il se rendort, et, Jean-Marie et moi, nous éclatons de rire.

J’étais fort triste pourtant, mais cette idée et cet aplomb d’enfant gâté étaient bien drôles…

… Le soir, à dix heures, Yves, revenu à lui-même, se leva furtivement, et disparut.

Pendant deux jours, il se tint caché sur l’avant du navire, dans le poste de l’équipage, ne montant que pour son quart et pour la manœuvre, baissant la tête, n’osant plus me voir.

Oh ! ces résolutions qu’on a reprises vingt fois, qu’on n’a pas su tenir… on n’ose plus les reprendre encore, ou du moins on n’ose plus le dire… et on s’affaisse, inerte, laissant passer les jours, attendant le courage et l’estime de soi-même, qui ne reviennent pas…

Peu à peu cependant nous avions retrouvé notre manière d’être habituelle. Je l’appelais le soir, et il venait faire auprès de moi cette longue promenade automatique des marins, qui dure des heures entre les mêmes planches. Nous causions à peu près comme autrefois, sous le vent triste, sous la pluie fine. C’était bien toujours sa même façon,