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Physiquement, Yves avait changé beaucoup. Il était devenu plus pâle, à l’abri du hâle de mer ; son expression était différente, moins assurée, et presque douloureuse. Il avait souffert, on le voyait bien ; mais, sur sa figure, toujours marmoréenne, incolore, le vice n’avait pu imprimer aucune trace.

Je regardais tout autour de moi avec une impression de surprise et un serrement de cœur ; en effet, je n’avais pas prévu ce que pourrait être, à terre et dans une ville, le logis de mon frère Yves. Il était bien différent de ces logis de mer où je l’avais longtemps connu : les hunes, pleines de vent et de soleil. Ici, maintenant, au milieu de ces réalités pauvres, je me trouvais, comme lui sans doute, dépaysé et mal à l’aise.

Marie était dehors, à la fontaine, et petit Pierre dormait bien, ses longs cils de petit enfant reposés sur ses joues. Nous étions seuls l’un devant l’autre, et, comme il avait peur de se retrouver ainsi en face de moi, vite il parla d’embarquement, de départ.

Une permutation sur la liste me mettait à Brest le premier à partir ; on allait armer deux ou trois bateaux, — pour la station de Chine, pour les mers du sud, pour le Levant ; — et il fallait s’attendre,