Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si soumis, jouant au coin du feu avec son fils ; puis quittant tout à fait ses façons de seigneur, ayant pour sa femme mille petites prévenances douces, afin de lui faire oublier sa peine ?

Comment croire que cet Yves-là pourrait bientôt et fatalement redevenir l’autre, celui des mauvais jours, l’Yves au regard terne, l’Yves morne et brutal, la bête égarée d’alcool, que rien ne toucherait plus ? Alors Marie l’entourait davantage de sa tendresse, concentrait sur lui toute sa force de volonté, le veillait comme un petit enfant, tremblait en le suivant des yeux quand seulement il descendait dans cette rue où passaient les camarades à grand col bleu, et où s’ouvraient les portes des bouges.

… À terre, Yves était perdu ; il le sentait bien lui-même, et se disait tristement qu’il fallait essayer de repartir.

Il avait grandi sur mer, au hasard, à la façon des plantes sauvages. On ne s’était guère occupé jamais de lui donner des notions de devoir ni de conduite, ni de rien au monde. Moi seul peut-être, moi, que sa destinée et une prière de sa mère avaient mis sur son chemin, j’avais pu lui parler