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comprenant déjà qu’une honte pesait sur eux, et qu’il ne fallait pas faire de bruit, baissant sa petite tête, et cachant toujours sous son tablier ses pauvres petites mains qui avaient froid. Il était assez bien couvert pourtant, mais il y avait longtemps qu’il était là, tranquille, à ce coin de rue humide. Les lanternes à gaz venaient de s’éteindre, et il faisait très noir. Pauvre petite plante saine et fraîche, née dans les bois de Toulven, comment était-il venu s’échouer dans cette misère de la ville ? Il ne s’expliquait pas bien ce changement, lui, il ne pouvait pas comprendre encore pourquoi sa mère avait voulu suivre son mari dans ce Brest, et habiter un logis sombre et froid, au fond d’une cour, dans une des rues basses avoisinant le port.

Un autre passa ; il battait sa femme, celui-ci, il ne voulait pas se laisser ramener, et c’était horrible. Marie poussa un cri, en entendant le bruit creux d’un coup de poing frappé dans une poitrine ; et puis elle se cacha la figure, n’y pouvant rien. Non ! Yves n’en était jamais arrivé là, lui. Mais est-ce que cela viendrait ? est-ce qu’il faudrait aussi, un de ces jours, descendre jusqu’à cette dernière misère ?