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rangées d’yeux comme en ont les papillons sur leurs ailes.

Le long des sentiers creux, dans la nuit verte, nous rencontrions des femmes qui allaient à Toulven entendre la première messe du matin. Du fond de ces longs couloirs de verdure, on les voyait venir avec leurs collerettes, avec leurs hautes coiffes blanches, dont les pans retombaient symétriques sur leurs oreilles, comme des bonnets d’Égyptiens. Leur taille était très serrée dans des doubles corsages de drap bleu qui ressemblaient à des corselets d’insectes et sur lesquels étaient brodées toujours les mêmes bigarrures, les mêmes rangées d’yeux de papillon. Au passage, elles nous disaient bonjour en langue bretonne, et leur figure tranquille avait des expressions primitives.

Et puis, sur les portes des chaumières antiques en granit gris qui étaient enfouies dans les arbres, nous trouvions des vieilles assises et gardant des petits enfants ; des vieilles aux longs cheveux blancs dépeignés, aux haillons de drap bleu coupés à la mode d’autrefois, avec des restes de broderies bretonnes et de rangées d’yeux : la misère et la sauvagerie du vieux temps.