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naient de se heurter l’un à l’autre, comme dans nos plus mauvais jours passés.

Et dehors, autour de nous, c’était toujours le calme de la campagne, l’ombre des chênes, la tranquille nuit verte.

Le pauvre vieux Keremenen, lui, ne pouvait rien, et cela risquait de devenir tout à fait odieux et pitoyable, quand on entendit Marie qui pleurait ; c’étaient ses premières larmes de femme, des larmes pressées, amères, présage sans doute de beaucoup d’autres ; des sanglots qui étaient lugubres, au milieu de ce silence lourd que nous gardions tous.

Alors Yves fut vaincu et s’approcha lentement pour l’embrasser :

— Allons, j’ai tort, dit-il, et je demande pardon.

Et puis il vint à moi et se servit d’un nom qu’il avait quelquefois écrit, mais qu’il n’avait jamais osé prononcer :

— Il faut encore me pardonner, frère !…

Et il m’embrassa aussi.

Après, il demanda pardon aux deux vieux Keremenen, qui lui donnèrent de bons baisers de père et de mère ; et pardon à son fils, le petit goéland,