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en retraite comme des chiens devant leur maître.

Heureusement c’est la nuit, et il n’y a pas de témoins. Les chaloupiers, seuls, — et ils sont ivres. — Puis, d’ailleurs, je suis sûr d’eux : ce sont de braves enfants, et, s’il faut aller devant un conseil, ils ne nous chargeront pas.

… Alors je prends Yves par les épaules, et, passant devant ses trois ennemis, qui se rangent pour nous faire place, je l’emmène dans ma chambre et l’y renferme à double tour. Là, pour le moment, il est en sûreté.

On m’appelle chez le commandant, que tout ce bruit a réveillé. Hélas ! Il faut le lui expliquer.

Et j’explique, en atténuant le plus possible la faute de mon pauvre Yves. J’explique ; après, pendant quelques mortelles minutes, je supplie : je crois que je n’avais supplié de ma vie, il me semble que ce n’est plus moi qui parle. Et tout ce que je puis dire ou faire vient se briser contre le raisonnement glacial de cet homme, qui tient entre ses mains cette existence d’Yves, qu’on m’a confiée.

J’ai bien réussi là-haut à écarter le plus grave, la question de coups donnés à des supérieurs ; mais restent les outrages et le refus d’obéissance. Yves