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À minuit, Yves, lui aussi, descendit dans la batterie avec les autres gabiers de bâbord ; ils avaient fait un supplément de quart d’une heure, à cause des embarcations qu’il avait fallu ressaisir. Ils se coulèrent par le panneau entre-bâillé qui se referma sur eux et vinrent se mêler à cette misère flottante.

Ils avaient passé cinq heures à leur rude travail, balancés dans le vide, éventés par les grands souffles furieux de là-haut, et tout trempés par cette pluie fouettante qui leur avait brûlé le visage. Ils firent une grimace de dégoût en pénétrant dans ce lieu fermé où l’air sentait la mort.

Yves disait, avec son grand air dédaigneux :

— Pour sûr, c’est encore ces Parisiens[1] qui nous ont apporté la peste ici.

Ils n’étaient pas malades, eux qui étaient de vrais matelots ; ils avaient encore la poitrine dilatée par tout ce vent de la hune, et la fatigue saine qu’ils venaient d’endurer allait leur donner un peu de bon sommeil.

Ils marchaient sur les boucles, sur les taquets,

  1. Parisien, une injure qu’emploient les matelots ; cela signifie : pas marin, pas solide, malade.