Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’un bout à l’autre, on voyait cette sorte de longue halle sombre, à demi éclairée par les fanaux qui vacillaient. Les gros canons, appuyés sur leurs jambes de force, se tenaient tant bien que mal, cordés par des câbles de fer. Et tout ce lieu remuait ; il avait les mouvements d’une chose qu’on secouerait dans un crible, qu’on secouerait sans trêve, sans merci, perpétuellement, avec une rage aveugle ; il craquait de partout, il avait des tressaillements de chose animée qui souffre, tiraillé, exténué, comme près de s’éventrer et de mourir.

Et les grandes eaux du dehors, qui voulaient entrer, filtraient çà et là en filets, en gerbes sinistres.

On se sentait soulevé si vite, que les jambes pliaient, — et puis les choses se dérobaient, les choses s’enfonçaient sous les pas, — et on descendait avec tout, en se raidissant malgré soi comme pour une espèce de résistance.

Il y avait des sons aigres, faux, étonnants, qui sortaient de partout ; toute cette membrure en forme d’oiseau de mer qui était la Médée se disjoignait peu à peu, en gémissant sous l’effort terrible. Et, dehors, derrière le mur de bois, toujours le