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bonhomie de sauvage ; tellement, que les autres, qui le savaient, lui pardonnaient comme à un plus enfant qu’eux. Yves se bornait à dire :

« Oh ! ça n’est pas joli, Barrada, je t’assure… » et ne lui en voulait pas non plus.

Tout cela s’amassait, s’amassait, se condensait en grosses pièces d’or cousues contre ses reins dans une ceinture de cuir. Et c’était pour en arriver, après son rengagement de cinq ans, à épouser une petite Espagnole, qui faisait des modes, à Bordeaux, dans un beau magasin du passage Sainte-Catherine ; petite ouvrière très raffinée, dont il portait toujours sur lui une photographie de profil, avec des cheveux coupés sur le front et une élégante toque en fourrure, ornée d’une aile d’oiseau.

— Que voulez-vous ! c’est une amitié d’enfance ! disait-il, comme s’il eût été nécessaire de s’en excuser.

Et, en attendant cette petite fiancée, il s’abandonnait à beaucoup d’autres par intérêt souvent, quelquefois aussi par vraie bonté d’âme, à la manière d’Yves, pour ne pas faire de la peine.