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elle a quitté cette ville pour retourner à Plouherzel en Goëlo, son pays natal. Mon père laissait nos affaires en grand désordre ; presque tout l’argent que nous avions eu autrefois était passé au cabaret, et ma mère n’avait plus de pain à nous donner. C’est alors que nos deux frères aînés, Gildas et Goulven, sont partis comme mousses sur des navires au long cours.

» On ne les a pas beaucoup vus au pays depuis leur départ, et pourtant on ne peut pas dire qu’ils ne nous aimaient pas. Ils se sont longtemps privés de leur paye de matelot pour permettre à notre mère de nous élever, nous les plus petits, Yves, ma sœur qui est ici, et puis moi.

» Mais Goulven a déserté, monsieur, il y a plus de quinze ans, par un mauvais coup de tête…

— Eux aussi, dit la vieille femme, sont de beaux et braves marins, leur cœur est franc comme l’or… Mais ils ont la tête de leur père, et déjà ils se sont mis à boire…

— Mon frère Gildas, reprit la jeune fille, a navigué sept ans à bord d’un américain pour faire, dans le Grand Océan, la pêche à la baleine. Cette campagne l’avait rendu très riche ; mais il pa-