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MADAME CHRYSANTHÈME

je me glisse et m’étends tout de mon long sur une natte — dans ce que l’on appelle la « cabine » d’un sampan.

J’ai juste la place de mon corps couché, dans ce cercueil flottant — qui est d’ailleurs d’une propreté minutieuse, d’une blancheur de sapin neuf. Je suis bien abrité de la pluie, qui tambourine sur mon couvercle, et me voilà en route pour la ville, naviguant à plat ventre dans cette boîte ; bercé par une lame, secoué méchamment par une autre, à moitié retourné quelquefois — et, dans l’entre-bâillement de ma ratière, apercevant de bas en haut les deux petits personnages à qui j’ai confié mon sort : enfants de huit ou dix ans tout au plus, ayant des minois de ouistiti, mais déjà musclés comme de vrais hommes en miniature, déjà adroits comme de vieux habitués de la mer.


… Ils poussent les hauts cris : c’est que sans doute nous abordons ! — En effet, par ma trappe, que je viens d’ouvrir en grand, je vois les dalles grises du quai, là tout près. Alors j’émerge de mon sarcophage, me disposant à mettre le pied, pour la première fois de ma vie, sur le sol japonais.