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elles une étrangère imprévue qu’elles s’excusent d’avoir amenée, une touriste anglaise ou américaine de passage, très excitée par le spectacle d’un mariage turc. Elle arrive, celle-ci, en costume de voyage, peut-être même en bottes d’alpiniste. Avec ses mêmes yeux hagards, qui ont vu la terre du sommet de l’Himalaya ou contemplé du haut du Cap Nord le soleil de minuit, elle dévisage la mariée… Pour comble, ma voyageuse à moi, celle que le destin me réservait en partage, est une journaliste, qui a gardé aux mains ses gants sales du paquebot : indiscrète, fureteuse, avide de copie pour une feuille nouvellement lancée, elle me pose les questions les plus stupéfiantes, avec un manque de tact absolu. Mon humiliation n’a plus de bornes.

Bien déplaisantes et bien vilaines, les dames Pérotes, qui arrivent très empanachées. Elles ont déjà vu cinquante mariages, celles-ci, et savent au bout du doigt comment les choses se passent. Cela n’empêche point, au contraire, leurs questions aussi niaises que méchantes :

« Vous ne connaissez pas encore votre mari, n’est-ce pas ?… Comme c’est drôle tout de même !… Quel étrange usage !… Mais, ma chère amie, vous auriez dû tricher, tout simplement !… Et vous ne l’avez pas fait, bien vrai, non ?… Tout de même, à votre place, moi j’aurais refusé net !… »

Et ce disant, des regards de moquerie, échangés avec une dame grecque, la voisine, également Pérote, et des petits ricanements de pitié… Je souris quand même, puisque c’est la consigne ; mais il me semble que ces pimbêches me giflent au sang sur les deux joues…

Enfin elles sont parties, toutes, les visiteuses en tcharchaf ou en chapeau. Restent les seules invitées.

Et les lustres, les lampes qu’on vient d’allumer, n’éclairent plus que des toilettes de grand apparat ; rien de noir puisqu’il n’y a pas d’hommes ; rien de sombre ; une foule délicieusement