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dans les bras les unes des autres, pour se faire de grands adieux ; elles se pleuraient mutuellement, comme si cette journée de demain allait à tout jamais les séparer. De peur de voir reparaître madame Husnugul, qui devait être aux écoutes derrière la porte seulement poussée, elles n’osaient point se parler ; quant à dormir, elles ne le pouvaient, et, de temps à autre, on entendait un soupir, ou un sanglot, soulever une de ces jeunes poitrines.

La fiancée, au milieu de ce profond recueillement nocturne, propice aux lucidités de l’angoisse, s’affolait de plus en plus, à sentir que chaque heure, chaque minute la rapprochaient de l’irréparable humiliation, du désastre final. Elle l’abhorrait à présent, avec sa violence de « barbare », cet étranger, dont elle avait à peine aperçu le visage, mais qui demain aurait tous les droits sur sa personne et pour toujours. Puisque rien n’était accompli encore, une tentation plus forte lui venait d’essayer n’importe quel effort suprême pour lui échapper, même au risque de tout… Mais quoi ?… Quel secours humain pouvait-elle attendre, qui donc aurait pitié ?… Se jeter aux pieds de son père, c’était trop tard, elle ne le fléchirait plus… Bientôt minuit ; la lune envoyait sa lumière spectrale dans la chambre ; ses rayons entraient, dessinant sur la blancheur des murs les barreaux et l’inexorable quadrillage des fenêtres. Ils éclairaient aussi, au-dessus de la tête de