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pensée ou dédicace. Enfin il y avait d’humbles bibelots, gagnés les précédents hivers à ces loteries de charité que les dames turques organisent pendant les veillées du Rhamazan, ils n’avaient pas l’ombre de valeur, ceux-là, mais ils rappelaient des instants écoulés de cette vie, dont la fuite sans retour constituait leur grand sujet d’angoisse… Quant aux cadeaux de la corbeille, dont quelques-uns étaient somptueux et que mademoiselle Esther Bonneau avait rangés en exposition dans un salon voisin, elles s’en souciaient comme d’une guigne.

La revue mélancolique à peine terminée, on entendit encore, au-dessus de la maison, résonner les belles voix claires : elles appelaient les fidèles à la cinquième prière de ce jour.

Alors les jeunes filles, pour mieux les entendre, vinrent s’asseoir devant une fenêtre ouverte, et, là, on respirait la fraîcheur suave de la nuit, qui sentait le cyprès, les aromates et l’eau marine. Ouverte, leur fenêtre, mais grillée, il va sans dire, et, en plus de ses barreaux en fer, défendue par les éternels quadrillages de bois sans lesquels aucune femme turque n’a le droit de regarder à l’extérieur. Les voix aériennes continuaient de chanter alentour, et au loin, d’autres semblaient répondre, quantité d’autres qui tombaient des hauts minarets de Stamboul et traversaient le golfe endormi, portées par les sonorités