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petit point où les acacias de Karadjiamir se groupaient, au milieu du steppe silencieux et lisse. La lueur grandissait, et bientôt se changeait en un foyer de flammes hautes qui léchaient les premières étoiles ; car ceux qui étaient restés au village avaient allumé de grands feux, et, tout autour, c’étaient des danses de jeunes filles, c’étaient des chants, rythmés par l’envol des draperies blanches et des voiles légers. Les jeunes s’amusaient, tandis que les hommes mûrs étaient assis à fumer dehors, et que les mères, à travers la dentelle des fenêtres, guettaient venir l’amour vers leurs enfants.

En ces jours-là, j’étais reine. Tewfik-Pacha mon père et Seniha ma mère m’aimaient par-dessus tout, car leurs autres enfants étaient morts. J’étais la sultane du village ; nulle autre n’avait de si belles robes, ni des ceintures d’or et d’argent si précieusement ciselées ; et, s’il passait par là un de ces marchands venus du Caucase avec des pierreries plein des sacs, et des ballots de fines soies lamées d’or, chacun savait alentour que c’était dans notre maison qu’il devait d’abord entrer ; personne n’eût osé acheter une simple écharpe tant que la fille du pacha n’avait pas elle-même choisi ses parures.

Ma mère était discrète et douce. Mon père était bon et on le savait juste. Tout étranger de passage pouvait venir frapper à notre porte, la maison était à lui. Pauvre, il était accueilli comme le Sultan même. Proscrit, fugitif, — j’en ai vu, — l’ombre de la maison l’eût défendu jusqu’à la mort de ses hôtes. Mais malheur à qui eût cherché à se servir de Tewfik Pacha pour l’aider dans quelque action vile ou seulement louche : mon père, si bon, était aussi un justicier terrible. Je l’ai vu.

Telle fut mon enfance, André. Puis, nous perdîmes ma mère, et mon père alors ne voulant plus rester sans elle au Karadjiamir, m’emmena avec lui à Constantinople, chez mon aïeule, près de mes cousines.