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Elle disait cela surtout pour bien marquer, devant la domesticité, son dédain du jeune maître. Mais, sitôt Kondja-Gul partie en grande confusion, elle s’approcha tremblante de la fenêtre… il venait de remonter à cheval, dans son bel uniforme d’officier, et partait au trot, le long des cyprès et des tombes, suivi de son ordonnance. Elle eut le temps de voir qu’en effet sa moustache était blonde, plutôt trop blonde à son gré, mais qu’il fait joli garçon, avec une assez fière tournure. Il n’en restait pas moins l’adversaire, le maître imposé qui jamais ne serait admis dans l’intimité de son âme. Et, se refusant à s’occuper de lui davantage, elle revint s’asseoir à son bureau, —avec tout de même une montée de sang aux joues, —pour continuer le journal, la lettre au confident irréel :

"… l’heure rose (l’heure rose tout court, décidément ; opaline était biffé), l’heure rose où s’éveillent les souvenirs, et les Circassiens se souvenaient du pays de leurs ancêtres ; l’un d’eux disait un chant d’exil, et les autres ralentissaient l’allure, pour écouter cette voix solitaire et lente. Puis l’heure était violette, et tendre, et douce, et la pleine tout entière entonnait l’hymne d’amour… Alors les cavaliers tournaient bride et hâtaient leur galop pour revenir. Sous leur passage, les fleurs mouraient dans un dernier parfum ; ils étincelaient, ils semblaient emporter avec eux, sur leurs armes, tout l’argent fluide épars dans le crépuscule d’été.

Au loin devant eux, une lueur d’incendie marquait le