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séparés seulement par un ravin empli d’habitations humaines et par un bois de cyprès empli de morts, — mais en réalité très loin l’un de l’autre à cause d’invisibles barrières. Lui, fut saisi par l’impression du départ, dès qu’il rouvrit les yeux, car il n’habitait plus sa maison, mais campait à l’hôtel ; il s’y était du reste perché le plus haut possible, pour fuir le tapage d’en bas, les casquettes des globe-trotters d’Amérique et les élégances des aigrefins de Syrie ; et surtout pour avoir vue encore sur Stamboul, avec Eyoub au lointain.

Et tous deux, Djénane et André, interrogèrent d’abord l’horizon, l’épaisseur des nuées, la direction du vent d’automne, l’un de sa fenêtre largement ouverte, l’autre à travers l’oppressant, l’éternel quadrillage de bois où s’emprisonnent les harems.

Ils avaient souhaité pour ce jour un temps lumineux et le rayonnement nostalgique de ce soleil d’arrière-saison, qui parfois vient épandre sur Stamboul une tiédeur de serre. Lui, c’était pour emporter, dans ses yeux avides et affolés de couleur, une dernière vision magnifique de la ville aux minarets et aux coupoles.

Elle, c’était pour être plus sûre de réussir à l’apercevoir encore une fois, de ce quai de Galata, en passant le long de son navire en partance, — car autrement, rien ne lui causait plus intime mélancolie que ces pâles illuminations roses des beaux soirs de