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leur d’or autour de la gentille rivière, tant il y avait de feuilles mortes en jonchée, et les arbres disaient bien l’automne. Cependant la plupart des caïques élégants, habitués de ce lieu, entraient l’un après l’autre, amenant les belles des harems, et André reçut au passage, encore une fois pour l’adieu final, des sourires discrets qui lui venaient de dessous les voiles.

Longtemps il attendit, regardant de tous côtés ; mais ses amies toujours n’arrivaient point, et la Journée s’avançait, et les promeneuses commençaient à se retirer.

Il s’en allait donc lui aussi, et il était presque à la sortie de la rivière, lorsqu’il vit poindre dans un beau caïque à livrée bleu et or, une femme seule, la tête enveloppée du yachmak blanc qui laisse paraître les yeux ; des coussins sans doute l’élevaient, car elle semblait un peu grande et haute sur l’eau, comme s’étant arrangée ainsi pour être mieux vue.

Ils se croisèrent, et elle le regarda fixement : Djénane !… Ces yeux couleur de bronze vert et ces longs sourcils roux, que depuis une année elle lui avait cachés, n’étaient comparables à aucuns et ne pouvaient être confondus avec d’autres… Il frissonna devant l’apparition si imprévue qui se dressait à deux pas de lui ; mais il ne fallait pas broncher, à cause des bateliers, et ils passèrent immobiles, sans échanger un signe.