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et qui glissait avec un éclat de capucine et d’hortensia bleu, sur le ruisseau vert, entre les prairies vertes et les rideaux ombreux des arbres ; elles s’étonnaient avec sympathie de cet Européen qui se révélait un pur Oriental.

Et lui, encore si enfant à ses heures, s’amusait d’attirer l’attention des jolies inconnaissables, et d’avoir parfois régné secrètement sur leurs pensées, à cause de ses livres qu’on lisait beaucoup cette année— là dans les harems. Le ciel de juin était adorable de tranquillité et de profondeur. Les spectatrices aux voiles blancs, qui observaient assises en groupes sur les pelouses des bords, montraient, par l’entrebâillement des mousselines, de jolis yeux calmes. On sentait la bonne odeur des foins, et celle de tous ces narguilés qui se fumaient à l’ombre.

Et on savait que l’été durerait bien trois mois encore, on savait que la saison des Eaux-Douces commençait à peine ; on reviendrait donc plusieurs vendredis et tout cela aurait en somme une petite durée, ne finirait pas dès demain…

Quand André remisa pour un temps son beau caïque dans les herbages, afin d’aller lui aussi fumer un narguilé à l’ombre des arbres, et faire à son tour celui qui regarde passer le monde sur l’eau, il était en pleine illusion de jeunesse, et griserie d’oubli.