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face, sur la banquette de devant. Et, les chevaux lancés au trot, elles éclatèrent de rire toutes les trois sous leurs voiles, à cause du tour bien joué, à cause de la liberté conquise jusqu’à ce soir, à cause de leur jeunesse, et du temps clair, et des lointains bleus. Elles étaient du reste le plus souvent adorables de gaieté enfantine, entre leurs crises sombres, même Zeyneb qui savait oublier son mal et son désir de mourir. C’est avec une souriante aisance de défi qu’elles bravaient tout, la séquestration absolue, l’exil, ou peut-être quelque autre châtiment plus lourd encore.

À mesure qu’on s’avançait le long de la Marmara, le perpétuel courant d’air du Bosphore se faisait de moins en moins sentir. Leur petite baie était loin, mais baignée d’air tiède, comme elles l’avaient prévu, et si paisible dans sa solitude, si rassurante pour eux dans son absolu délaissement ! Elle s’ouvrait au plein Sud, et une falaise en miniature l’entourait comme un abri fait exprès. Sur ce sable fin, on était chez soi, préservé des regards comme dans le jardin clos d’un harem. On ne voyait rien d’autre que la Marmara, sans un navire, sans une ride, avec seulement la ligne des montagnes d’Asie à l’extrême horizon ; une Marmara toute d’immobilité comme aux beaux jours apaisés de septembre, mais peut-être trop pâlement bleue, car cette pâleur apportait, malgré le soleil, une tristesse