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Ils quittèrent bientôt le chemin qui longe ces murailles de Byzance, pour senfoncer en plein domaine des morts, sous un ciel de novembre singulièrement obscur, au milieu des cyprès, parmi la peuplade sans fin des tombes. Le vent de Russie ne leur faisait pas grâce, leur cinglait le visage, les imprégnait dhumidité toujours plus froide. Devant eux, les corbeaux fuyaient sans hâte, en sautillant.

Apparurent les stèles de Nedjibé, ces stèles encore bien blanches, quAndré désigna aux jeunes femmes. Les inscriptions, redorées au printemps, brillaient toujours de leur éclat neuf.

Et, à quelques pas de ces humbles marbres, les gentils fantômes visiteurs, sétant immobilisés spontanément, se mirent en prière, — dans la pose consacrée de lIslam, qui est les deux mains ouvertes et comme tendues pour quêter une grâce, —en prière fervente pour lâme de la petite morte. Cétait si imprévu dAndré et si touchant, ce quelles faisaient là, qu’il sentit ses yeux tout à coup brouillés de larmes, et, de peur de le laisser voir, il resta à lécart, lui qui ne priait pas.

Ainsi, il avait réalisé ce rêve qui semblait si impossible : faire relever cette tombe, et la confier à dautres femmes turques, capables de la vénérer et de lentretenir. Les marbres étaient là, bien debout et bien solides, avec leurs dorures fraîches ; les femmes turques étaient là