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entre. Élans réciproques, mains tendues, baisers des lèvres rouges sur les joues mates.

— Est-ce que je tombe bien ? Que faisiez-vous, ma chère ?

— Je m’ennuyais.

— Bon, je viens vous chercher, pour une promenade ensemble, n’importe où.

Un instant plus tard, une voiture fermée les emmène. Sur le siège, à côté du cocher un nègre : Dilaver, l’inévitable Dilaver, sans lequel on n’a pas le droit de sortir et qui fera son rapport sur l’emploi du temps.

Elles causent, les deux promeneuses :

— Eh bien ! aimez-vous Ali Bey ?

— Oui, répond la nouvelle mariée, mais parce qu’il faut absolument que j’aime quelqu’un ; j’ai soif d’affection. Ceci est en attendant. Si je trouve mieux plus tard…

— Eh bien ! moi, je n’aime pas le mien, mais là pas du tout ; aimer par force, non, je ne suis pas de celles qui se plient…

Leur voiture roule, au grand trot de deux chevaux magnifiques. Elles ne devront pas en descendre, ce ne serait plus comme il faut. Et elles envient les mendiantes libres qui les regardent passer.

Elles sont arrivées à la porte du Bazar, où des gens du peuple achètent des marrons grillés.

— J’ai bien faim, dit l’une. Avons-nous de l’argent ?

— Non.

— Dilaver en a.

— Dilaver, achète-nous des marrons.

Dans quoi les mettre ? Elles tendent leurs mouchoirs de dentelles, tous les marrons leur reviennent là-dedans, où ils ont pris une odeur d’héliotrope. — Et c’est tout leur grand événement du jour, cette dînette qu’elles s’amusent à faire là comme des femmes du peuple mais sous le voile, et en voiture fermée.