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Ensuite, passer la revue silencieuse dans les salons, pour vérifier si tout est en ordre ; la visite aux menus objets aimés, souvenirs, portraits, dont lentretien prend une grande importance. Puis déjeuner, souvent seule, dans une grande salle, entourée de négresses ou desclaves circassiennes ; avoir froid aux doigts en touchant largenterie éparse sur la table, avoir surtout froid à lâme ; parler avec les esclaves, leur poser des questions dont on nécoute pas les réponses….

Et maintenant, que faire jusquà ce soir ? Les harems du temps jadis, à plusieurs épouses, devaient être moins tristes : on se tenait compagnie entre soi… Que faire donc ? De laquarelle ? (Nous sommes toutes aquarellistes distinguées, monsieur Lhéry : ce que nous avons peint décrans, de paravents, déventails !) Ou bien jouer du piano, jouer du luth ? Lire du Paul Bourget, ou de lAndré Lhéry ? Ou bien broder, reprendre quelquune de nos longues broderies dor, et sintéresser toute seule à voir courir ses mains, si fines, si blanches, avec les bagues qui scintillent ?… C’est quelque chose de nouveau que lon souhaiterait, et que lon attend sans espoir, quelque chose dimprévu qui aurait de l’éclat, qui vibrerait, qui ferait du bruit, mais qui ne viendra jamais… On voudrait aussi se promener malgré la boue, malgré la neige, nétant pas sortie depuis quinze jours ; mais aller seule est interdit. Aucune course à imaginer comme excuse ; rien. On manque despace, on manque dair. Même si on a un jardin, il semble quon ny respire pas, parce que les murs en sont trop hauts.

On sonne ! Oh ! quelle joie si cela pouvait être une catastrophe, ou seulement une visite !

Une visite ! c’est une visite, car on entend courir les esclaves dans lescalier. On se lève ; vite une glace, pour sarranger les yeux avec fièvre. Qui ça peut-il être ? Ah ! une amie jeune et délicieuse, mariée depuis peu. Elle entre.