Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chiques d’automne fleurissaient parmi la jonchée des feuilles mortes. Peu ou point d’Européens ; rien que des Turcs, et surtout des femmes. Et, dans les paires de beaux yeux, que laissaient à découvert les voiles blancs mis comme à la campagne, on lisait beaucoup de mélancolie, sans doute à cause de cette approche de l’hiver, la saison ou l’austérité des harems bat son plein, et où l’enfermement devient presque continuel.

Ils se croisèrent deux ou trois fois. Même le regard de Mélek, à travers son voile baissé, son voile noir de citadine, n’exprimait que de la tristesse ; cette tristesse que donnent universellement les saisons au déclin, toutes les choses près de finir.

Quand il fut l’heure de s’en aller, le Bosphore, à la sortie des Eaux-Douces, leur réservait des aspects de beauté tragique. La forteresse sarrasine de la rive d’Asie, au pied de laquelle il fallait passer, toute rougie par le soleil couchant, avait des créneaux couleur de feu. Et au contraire, elle semblait trop sombre, l’autre forteresse, plus colossale, qui lui fait vis-à-vis sur la côte d’Europe, avec ses murailles et ses tours, échelonnées, juchées jusqu’en haut de la montagne. La surface de l’eau écumait, toute blanche, fouettée par des rafales déjà froides. Et un ciel de cataclysme s’étendait au-dessus de tout cela ; nuages couleur de bronze ou couleur de cuivre, très tourmentés et déchirés sur un fond livide.