Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

on conserve entre les feuillets d’un livre; teintes qui semblent n’être plus que des reflets sur le point de s’en aller.

C’est dans ces robes-là, imprégnées de souvenirs, et c’est sous ce kiosque au bord de l’eau que nous avons lu votre dernier livre : « Le pays de Kaboul », —le nôtre, l’exemplaire que vous-même nous avez donné. L’artiste que vous êtes n’aurait pu rêver pour cette lecture un cadre plus à souhait. Les roses innombrables, qui retombaient de partout, nous faisaient aux fenêtres d’épais rideaux, et le printemps de cette province méridionale nous grisait de tiédeurs… Maintenant donc nous avons vu Kaboul.

Mais c’est égal, ami, j’aime moins ce livre que ses aînés : il n’y a pas assez de vous là-dedans. Je n’ai pas pleuré, comme en lisant tant d’autres choses que vous avez écrites, qui ne sont pas tristes toujours, mais qui m’émeuvent et m’angoissent quand même. Oh ! n’écrivez plus seulement avec votre esprit ! Vous ne voulez plus, je crois, vous mettre en scène… Qu’importe ce que des gens peuvent en dire ? Oh ! écrivez encore avec votre cœur, est-il donc si lassé et impassible à présent, qu’on ne le sente plus battre dans vos livres comme autrefois ?…

Voici le soir qui vient, et l’heure est si belle, dans ces jardins de grand silence, où maintenant les fleurs mêmes ont l’air d’être pensives et de se souvenir. On resterait là sans fin, à écouter la voix du petit filet d’eau dans la vasque de marbre, encore que sa chanson ne soit point variée et ne dise que la monotonie des jours. Ce lieu, hélas ! pourrait si bien être un paradis ! On sent qu’en soi, comme autour de soi, tout pourrait être si beau ! Que vie et bonheur pourraient n’être qu’une seule et même chose, avec la liberté !

Nous allons rentrer au palais ; il faut, ami, vous dire adieu.