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quel qu’il fût. Dans ce petit logis, de vétusté et d’ombre, perdu au cœur du Vieux-Stamboul, environné de ruines et de sépultures, ils réalisaient l’impossible, rien qu’en se réunissant pour échanger des pensées. Et ils s’étonnaient, étant les uns pour les autres des éléments si nouveaux, ils s’étonnaient de ne pas se trouver très dissemblables ; mais non, au contraire, en parfaite communion d’idées et d’impressions, comme des amis s’étant toujours connus. Elles, tout ce qu’elles savaient de la vie en général, des choses d’Europe, de l’évolution des esprits par là-bas, elles l’avaient appris dans la solitude, avec des livres. Et aujourd’hui, causant par miracle avec un homme d’Occident, et un homme au nom connu, elles se trouvaient de niveau ; et lui, les traitait comme des égales, comme des intelligences, comme des âmes, ce qui leur apportait une sorte de griserie de l’esprit jusque-là, inéprouvée.

Zeyneb était aujourd’hui celle qui faisait le service de la dînette, sur la petite table couverte cette fois d’une nappe de satin vert et argent, et semée de roses naturelles, rouges. Quant à Djénane, elle se tenait de plus en plus immobile, assise à l’écart, ne remuant pas un pli de ses voiles d’élégie ; elle causait peut-être davantage que les deux autres, et surtout interrogeait avec plus de profondeur ; mais ne bougeait pas, s’étudiait, semblait-il, à rester la plus intangible des trois, physiquement