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Une heure après, quand André et son ami se furent assurés, en épiant de très loin, que les trois petites Turques avaient réussi, par des chemins détournés, à gagner sans encombre une des échelles de la Corne-d’Or et à prendre un caïque, ils s’embarquèrent eux-mêmes, à une échelle différente, pour s’éloigner d’Eyoub.

C’était maintenant la sécurité et le calme, dans cette barque effilée, où ils venaient de s’asseoir presque couchés, à la manière de Constantinople, et ils descendaient ce golfe, tout enclavé dans l’immense ville, à l’heure où la féerie du soir battait son plein. Leur batelier les menait en suivant la rive de Stamboul, dans cette ombre colossale que les amas de maisons et de mosquées projettent, au déclin du soleil, depuis des siècles, sur cette eau toujours captive et tranquille. Stamboul au-dessus d’eux commençait de s’assombrir et de s’unifier, étalant comme tous les soirs la magnificence de ses coupoles contre le couchant ivre de lumière ; Stamboul redevenait dominateur, lourd de souvenirs, oppressant comme aux grandes époques de son passé, et, sous cette belle nappe réfléchissante qu’était la surface de la mer, on devinait, entassés au fond, les cadavres et le déchet de deux civilisations somptueuses… Si Stamboul était sombre, en revanche les quartiers qui s’étageaient sur la rive opposée, Khassim-Pacha, Tershané, Galata, avaient l’air de s’