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aussi criminelle à leurs yeux : des musulmanes avec un homme d’Occident ! Ils s’arrêtèrent, les soldats, cloués de stupeur, et puis, après quelques mots brusques échangés, ils repartirent à toutes jambes, évidemment pour avertir leurs camarades, ou la police ou peut— être ameuter les gens du prochain village… Les trois petites apparitions noires, terrifiées, sautèrent dans leur voiture qui repartit au galop à tout briser, tandis que Jean Renaud, qui avait de loin vu la scène, accourait pour prêter secours, et, dès que le talika, lancé à fond de train, fut hors de vue parmi les arbres, les deux amis se jetèrent dans un sentier de traverse qui menait vers la grande brousse.

"Eh bien ! comment sont-elles ? —demandait Jean Renaud un instant plus tard, quand, l’alerte passée, ils s’étaient repris à cheminer tranquillement sous bois.

— Stupéfiantes, répondit André.

— Stupéfiantes, dans quel sens ?… Gentilles ?…

— Très !… Et encore non, c’est un mot plus sérieux qui conviendrait, car ce sont des âmes, paraît-il, rien que des âmes… Mon cher ami, j’ai pour la première fois de ma vie causé avec des âmes.

— Des âmes !… Mais enfin, sous quelle enveloppe ?… Des femmes honnêtes…

— Oh ! pour honnêtes, tout ce qu’il y a de plus… Si vous aviez arrangé en imagination une belle aventure d’