Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos Bédouins passent, caravane transie au milieu de cette ombre glacée, leur clameur se répercute et se prolonge comme la fugue des grandes orgues dans des cathédrales infinies. Il y a des lointains fermés et noirs, au fond desquels la blancheur morte des neiges éclate çà et là, parmi des nuées mystérieuses qui stationnent.

D’heure en heure tout devient plus gigantesque. Et sur le soir enfin, parmi des cimes granitiques enténébrées de nuages, les hauts remparts et les quelques cyprès du couvent du Sinaï nous apparaissent, au travers des flocons blancs dont l’air est rayé. Hélas ! comme elle est silencieuse, sinistre et froide cette apparition de la montagne très sainte, dont le nom seul, à distance, flamboyait encore pour nous. Les temps sont trop lointains sans doute, trop révolus à jamais, où l’Éternel y descendit dans des nuées de feu, au son terrible des cors ; fini, tout cela, elle est vide à présent, comme le ciel et comme nos modernes âmes ; elle ne renferme plus que de vains simulacres glacés, auxquels les fils des hommes auront bientôt cessé de croire…

Nos tentes sont là, déjà montées, parmi des éboulements de vieilles murailles, dans une gorge où le vent s’engouffre, et le suaire blanc qui couvre la terre est jonché de nos bagages ; notre pauvre cam-