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deviennent plus friables et plus incolores. Sous l’oppression froide et la demi-nuit d’un ciel d’hiver, nous cheminons dans des séries de vallées au sol de sable uni, enserrées par des bordures et coupées par des flots de roches d’une couleur neutre de chameau. Plus rien de ces angles vifs, de ces pointes aiguës, de ces récentes brisures que nous avions coutume de voir autour de nous depuis deux jours ; au contraire, des entassements de blocs polis, aux aspects mous, ayant des rondeurs et d’étranges contournements de bêtes ; on dirait des superpositions de monstres, de pachydermes, de salamandres, de larves, ou bien des agglomérats de membres embryonnaires, des trompes, des bras, emmêlés et soudés ensemble. Aux carrefours lugubres de ces défilés, de vagues têtes d’éléphants ou de sphinx, posées comme en vedette sur ces amas de formes, ont l’air de contempler et de maintenir les désolations d’alentour. Il a fallu des millénaires de tranquillité, sous le soleil et sous les pluies, pour sculpter et polir ces collections d’inquiétantes choses. Et toujours le silence, et toujours personne. Rencontré quelques petits oiseaux, de la même couleur neutre que les pierres, et quelques lézards squameux comme des crocodiles. Le ciel demeure funèbre et bas, accentuant ces immenses tristesses et, de temps à autre,