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ombres des chameaux cheminants, et comme toujours, quand on les relève vers les montagnes lointaines, elles semblent noires par contraste avec l’éclat de ces sables proches.

Vers l’après-midi, nous sommes très haut, dans ces solitudes intérieures de la presqu’île sinaïtique ; alors, des espaces nouveaux se découvrent de tous côtés, et l’impression de désert devient plus angoissante, à cause de cette affirmation visible de son immensité.

Et c’est une magnificence presque effroyable… Dans des lointains si limpides, qu’on les dirait beaucoup plus profonds que les habituels lointains terrestres, des chaînes de montagnes s’enlacent et se superposent, avec des formes régulières, qui, depuis le commencement du monde, sont vierges de tout arrangement humain, avec des contours secs et durs qu’aucune végétation n’a jamais atténués. Elles sont, aux premiers plans, d’un brun presque rouge ; puis, dans leur fuite vers l’horizon, elles passent par d’admirables violets, qui bleuissent de plus en plus, jusqu’à l’indigo pur des lointains extrêmes. Et tout cela est vide, silencieux et mort. C’est la splendeur des régions invariables, d’où sont absents ces leurres éphémères, les forêts, les verdures ou les herbages ; c’est la splendeur de la matière presque éternelle,