Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et maintenant le soleil est couché ; mais, bien que tout s’assombrisse, du feu latent, du feu qui tarde à s’éteindre, couve encore longuement sous ces bruns et ces gris de cendre qui sont les vraies couleurs des choses… Puis un frisson passe, et subitement le froid tombe, l’inévitable froid du soir au désert.



Quand la nuit est venue, quand les étoiles sont allumées dans l’immense ciel, et que nos Bédouins, comme de coutume, se sont assis en rond autour de leurs feux de branches — silhouettes noires sur des flammèches jaunes — douze d’entre eux se détachent, viennent se ranger, devant nos tentes, en cercle autour de l’un qui joue de la musette, et commencent de chanter un chœur. Suivant la cadence lente que le joueur de musette leur marque, ils balancent la tête en chantant. L’air est vieux et lugubre, tel sans doute qu’on en entendait au désert quand passa Moïse. Plus triste que le silence, cette musique bédouine qui s’élève, inopinément gémissante, et qui paraît se perdre dans l’air déshabitué de bruit, avide de son comme ces sables d’ici seraient avides de rosée…