Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérée, en Égypte, comme impraticable dans ce moment-ci, depuis la rébellion des tribus de l’Idumée, et il y a dix ans qu’aucun Européen n’a plus tenté de la suivre. Le cheik de Pétra surtout m’a été représenté comme un dangereux guetteur de caravanes, actuellement insoumis à tous les gouvernements réguliers, et sa personne, plus que son pays, m’attire là-bas. Il est d’ailleurs, comme presque tous les chefs de l’Idumée et du Hedjaz, affilié à la secte Senoussite ; auprès de lui seul, sans doute, j’aurai à me servir de la lettre du séïd Omar, qui a tant de grandeur — et qui cadre si mal avec ces Bédouins de mon escorte, domestiqués, serviles, première déception de mon voyage.

Le désert, par exemple, n’est pas décevant, lui, même ici, à ce seuil où il ne fait que commencer d’apparaître. Son immensité prime tout, agrandit tout, et, en sa présence, la mesquinerie des êtres s’oublie.

Et si brusque a été la prise de possession de nous par lui ; si subit, notre enveloppement de silence et de solitude !… Hier matin encore, c’était le Caire encombré de touristes, la vie comme dans toutes les stations hivernales élégantes. Hier au soir, c’était Suez, avec déjà plus d’isolement, dans un petit hôtel primitif, sentant la colonie et le sable.