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à me pousser vers ce métier de marin qui déjà me fatigue et m’ennuie.

» Les années ont passé et m’ont fait homme. Déjà j’ai couru le monde, et me voici enfin devant l’île rêvée. Mais je n’y trouve plus que tristesse et amer désenchantement.

» C’est bien Papeete, cependant ; ce palais de la reine, là-bas, sous la verdure, cette baie aux grands palmiers, ces hautes montagnes aux silhouettes dentelées, c’est bien tout cela qui était connu. Tout cela, depuis dix ans je l’avais vu, dans ces dessins jaunis par la mer, poétisés par l’énorme distance, que nous envoyait Georges ; c’est bien ce coin du monde dont nous parlait avec amour notre frère qui n’est plus…

» C’est tout cela, avec le grand charme en moins, le charme des illusions indéfinies, des impressions vagues et fantastiques de l’enfance… Un pays comme tous les autres, mon Dieu, et moi, Harry, qui me retrouve là, le même Harry qu’à Brightbury, qu’à Londres, qu’ailleurs, si bien qu’il me semble n’avoir pas changé de place……

» Ce pays des rêves, pour lui garder son prestige, j’aurais dû ne pas le toucher du doigt.