Page:Loti - La troisième jeunesse de Madame Prune, 1905.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne crois pas que l’affection ait toujours besoin de paroles, de connaissance approfondie, ni même de cause raisonnable quelconque : elle peut jaillir comme cela, d’un regard, d’une expression d’yeux, d’un rien moindre encore, qui échappe à toute analyse.

Et maintenant il va falloir se séparer d’une façon brusque et absolue sans même de lettres pour se rappeler l’un à l’autre, sans communication possible, jamais. C’est comme une brutale coupure de sabre, entre nos deux existences pendant un an rapprochées.

On l’appelle d’en bas, dans la cour de la pagode, sur un ton de commandement. Elle répond : « Oui, mon père, je viens. » Je n’avais jamais entendu sa voix, à elle, vibrer si loin, une voix claire et jolie. Allons, il faut se dire adieu. Et je l’embrasse, ce que je n’avais pas osé faire encore ; une embrassade de bonne amitié attristée. Elle croit devoir me rendre mon baiser, — et s’y prend avec tant de gentille gaucherie, comme un bébé qui ne sait pas !… On dirait qu’elle n’a jamais de sa vie embrassé personne.