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Alors, nous sommes accourus aussi, il va sans dire.

C’étaient deux enseignes de vaisseau, arrivés d’hier à Nagasaki sur un croiseur. Des bonshommes autour d’eux avaient les poings levés, leurs courts bras jaunes sortant jusqu’à l’épaule des manches de leurs robes. Or, ces bonshommes, nous les connaissions bien : c’étaient des marchands de potiches du voisinage, chez lesquels nous avions l’habitude de fréquenter, gens à sourires et à révérences plus que personne, gens d’ordinaire obséquieux et patelins, — mais si transfigurés aujourd’hui par la colère ! Leurs petits yeux devenus effrayants, leur bouche contractée par un rictus de fauve ! Des êtres pour nous tout à fait nouveaux, imprévus, ressemblant à ces masques de guerre qui grimacent la mort, et dont les Japonais ont bien dû en effet prendre le modèle chez eux quelque part.

Tout simplement ces Français avaient poussé du pied le chien d’un de ces marchands, qui voulait mordre : alors, besoin immédiat de revanche nationale contre les deux étrangers…