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d’Arménie, nous avait-on assez bourré le crâne avec ce bateau-là ! » Et tous racontent les égards dont les Turcs entouraient nos prisonniers et nos blessés : « Ils nous laissaient aller relever nos hommes tombés entre les lignes, ce qu’aucun belligérant n’eût jamais fait. Aux Dardanelles, quand ils devaient bombarder un fort où nous avions une ambulance, ils nous avertissaient l’avant-veille, pour nous laisser le temps de tout évacuer, etc., etc. » Et tous ont signé, donnant leur adresse et me priant de ne pas hésiter à les appeler en témoignage.

Oh ! avec quelle émotion j’ai lu la longue lettre de l’un de nos héroïques lieutenants de vaisseau ! Quand le glorieux navire qu’il commandait là-bas, percé de part en part, eut coulé, en gardant haut son grand pavillon de France, grièvement blessé lui-même, il se dirigea vers la terre, à la nage, soutenu par les épaves, à la suite de ce qui restait de ses matelots ensanglantés et presque mourants. Les Turcs alors, au lieu de les mitrailler à la manière boche, leur indiquèrent la plage où accoster ; n’ayant point de barque à leur envoyer, ils entrèrent dans l’eau pour les aider et les soutenir. L’officier turc qui commandait le détachement, après avoir salué et tendu amicalement la main, fit rendre les honneurs militaires à tous, jusqu’au